• "- T'as pas faim toi?" je demande.

    Lurp marmonne une incompréhensible bouillie de mots, mais le mouvement de sa tête laisse à penser que non, il n'a pas faim. Pas très étonnant, il doit avoir l'estomac aussi en vrac que la tête à force d'ingurgiter les Xanax comme des bonbons. Je me lève lourdement de mon fauteuil, bien décidée à remplir mon estomac avec quelque chose de solide pour changer, et me dirige avec mes semelles de plomb vers la cuisine, qui pour l'occasion se trouve au moins à trois kilomètres. Je viens de dormir plus de 14h, et je n'ai jamais été aussi fatiguée de ma vie. Un genre de cercle vicieux, la fatigue. A bien y réfléchir, je ne suis pas fatiguée, j'ai sommeil, c'est pas la même chose, les insomniaques comprendront. Mon estomac s'agite et les borborygmes qu'il produit semblent exiger, si ma traduction est exacte, une quantité monstrueuse de nourriture, chaude et salée de préférence. J'ose m'imaginer qu'il n'y a rien de tel à l'instant dans cette cuisine... J'ouvre un à un les placards, tous aussi desespérément vide hormis de vieille boîtes de sardines (c'est pas chaud) et des paquets de pâtes à moitié vide (encore moins chauds). Il ya bien un quart de tarte aux pommes qui reste, mais il n'est pas salé (et c'est une bonne chose, si si).

    Rassemblant tout mon courage, je me traîne jusqu'à la salle de bain histoire de réintégrer mes loques d'hier, et il me faut une bonne demi-heure pour enfiler et lacer mes chaussures. L'idée d'abandonner m'a déja effleurée une bonne quinzaine de fois, l'appel du lit, sa douceur et sa chaleur me suppliciant. Je jette un dernier regard à la loque qui me sert occasionellement de petit ami, hésitant entre le secouer, le doucher et l'habiller pour l'emmener avec moi, ou l'achever avec deux trois coups de pieds bien sentis. De peur que la deuxième solution l'emporte, je sors en catastrophe, et à l'instant ou le battant de la porte blindée s'enclenche derrière moi, je réalise que j'ai oublié ma clé. Bon, qu'à cela ne tienne, dans son état il ne pourra ouvrir à personne avant longtemps, autant demander au chat de le faire. Résignée, je descend l'escalier et débouche enfin à l'air libre, il est 14 heure, nous sommes en novembre et il fait un temps magnifique. J'opte pour un grec sauce blanche bien dégoulinant avec trois tonnes de frites, me retient de le manger avec delectation pendant 10 mn et m'avachit sur un banc du parc, la salive coule en moi par litres, je sors de ma besace mon livre du moment, et mords avec bonheur dans le sandwich moelleux. Et là, la liberté m'envahit.

    PS: spéciale kassdédi à B., je sais qu'il lit ce blog.


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  • Nelly a 23 ans. Elle est étudiante aux beaux-arts, c'est une jeune femme énergique et généreuse, toujours à l'écoute, prête à rassurer et consoler ou à faire la fête jusqu'au bout de la nuit, du haut de son mètre soixante qui culmine en un épais paquets de dreadlocks rouges et folles. Nelly est l'incarnation même de la joie de vivre et de la bonté, elle est très aimée et très entourée, et sa gentillesse et son excentricité la font remarquer de tous.

    Il y a de ça un mois, Nelly passe devant la gare de sa petite ville de province, il est seulement neuf heures du soir, le quartier est rassurant et les passants nombreux. Elle a rendez-vous un peu plus haut avec un ami, elle s'arrête quelques instants sur les marches de pierre pour finir sa cigarette tranquillement, puisqu'elle est un peu en avance.

    Un homme l'accoste, jeune, il est mal rasé et ses vêtements déchirés sentent la saleté et la bière, mais Nelly a l'habitude de fréquenter des marginaux et sait s'en faire des amis. Elle donne donc avec un grand sourire une cigarette à l'homme qui la lui réclame, mais celui-ci, au lieu de prendre le batônnet que lui tend la jeune femme, la frappe violemment au visage et Nelly sent son arcade sourcilière craquer alors que des étoiles explosent devant ses yeux sonnés. Elle reprend conscience lorsque l'homme, grand et fort, la traîne, elle, petite et légère vers le parc voisin, à travers un long souterrain mal éclairé, et elle sait déja que personne ne l'aidera, car personne ne traîne en ces lieux après le coucher du soleil. Elle se demande alors ce qui va lui arriver et prie pour que l'homme ne la tue pas. Elle essaie de le raisonner, mais il la force à avancer devant lui en lui serrant le cou et en l'insultant. Nelly sent la force de son corps et sait que toute lutte est perdue d'avance, alors elle tente le tout pour le tout. Dès que l'étreinte se relâche elle se glisse hors des bras de l'homme et cours droit devant elle, en hurlant. Mais le voilà qui la rattrappe, elle tombe et lui tombe sur elle, et il la roue de coups, son visage est tout bleui et sanglant, son poignet droit provoque des élancements aigus dans tout son bras, et il la traîne sur le sol jusqu'à un bouquet de buisson, loin de toute lumière, et là il la viole, lui fait subir tous les outrages sans jamais cesser de la frapper, même alors qu'elle n'est plus consciente. Il lui brise les côtes et le bassin à coups de pieds, sa peau nue est arrachée un peu partout, sa chair tuméfiée a parfois éclaté sous les coups. Il est minuit, le monstre est repu. Nelly est depuis longtemps inconsciente, son corps devenu un étrange puzzle macabre et désordonné gît, sali à jamais sur le sol humide de la nuit. L'homme regarde, dégoûté, ce corps sans vie apparente qui le répugne à présent, et dans un dernier sursaut de rage, il la jette du haut du long escalier de pierre qui dévale la colline sur une dizaine de mètres.

    Le lendemain, une promeneuse matinale découvre le carnage, et lorsque les secours arrivent enfin, Nelly est vivante certes, mais à quel prix. Son corps démantibulé ne marchera plus jamais, et son esprit ne pourra jamais oublier cette nuit si longue.

    Le monstre a été arrêté il y a deux jours, après avoir raté de peu une autre victime. J'avais perdu de vue Nelly depuis quelques mois. Je ne suis pas sûre à présent que reprendre contact sera aussi simple...


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  • N'oublions pas LE STYLE.


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  • Il est temps pour moi je crois de grandir, de cesser de craindre l'âge adulte, ou plutôt de cesser de craindre ma féminité.

    Je rêve de guépières transparentes et révélatrices, de talons aiguilles affutés, de jupes fendue jusqu'à l'interdit, mais je n'arrive pas à quitter le cocon réconfortant de mon baggy et mes baskets. Je veux bien vamper dans la pénombre de notre chambre à coucher, mais je ne peux me résoudre à sortir en pleine lumière vétue de féminité. Je collectionne dans ma penderie divers accessoires sexys et envoutants, mais ils prennent la poussière, et s'accumulent, désolés.

    Je ne me sens pas réellement capable d'assumer la féminité (je ne dis pas MA féminité d'ailleurs). Oui je peux me déguiser, oui je peux l'espace d'un soir me trémousser en robe légère, mais je tirerai dessus à chaque instant, contente de mon apparence mais honteuse d'attirer les regards, incapable de supporter le poids du désir que j'inspire. Le décalage entre ce que j'aimerais être et ce que je suis me semble infranchissable, alors que dans le fond tout ça n'est rien. Mais je me sens vieillir (pas beaucoup je vous l'accorde) et le temps arrive où il faudrait probablement que je cesse de me déguiser en adolescente, pour devenir enfin papillon. Malheureusement ma chrysalide est trop confortable, et je rechigne à en sortir.

    Je suis extremiste et je ne conçois pas un milieu banal: je me veux garçon manqué, baskets miniatures à mes petons et cache-oreille enfantin sur le crâne, couleurs gaies et maille moelleuse, ou alors je me rêve femme fatale, haute perchée et matières nobles. Evidemment cela recquiert une certaine souplesse, comme grand-écart. Mais Lurp me trouve tellement mignonnne, avec mes pyjamas dégingandés et ma frimousse nature, que j'ai peur de lui déplaire une fois grimée. Pourquoi grimée? C'est le coeur du problème. Mais quand je me regarde ainsi parée, je me sens ridicule et déplacée, alors rageusement j'enlève mes beaux atours et cours me réfugier dans mes vieux jeans. Et lui de me rassurer en me trouvant belle et désirable, en me promettant que je suis diablement sensuelle et non pas risible... Mais rien n'y fait, mon propre regard est trop cruel. Pourtant je le sais, je le veux, je veux être à la fois cette gamine innocente et d'une candeur attirante, et à la fois cette femme chic et sexe, au regard noir et aux lèvres ourlées, à l'attitude sûre et certaine, aux gestes raffinés et obsédants.

     Ne puis-je donc gérer sereinement l'image d'une femme épanouie et assumée? Ne puis-je accepter sans rougir et nier les compliments, sans devenir agressive à l'évocation d'une certaine part de joliesse chez moi? J'aimerais en être capable, sans pour autant le provoquer. J'aimerais être capable de croire quand on me dis "tu es belle", que c'est vrai.

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  • Est-ce que tenir 4 blogs à la fois c'est trop? Est-ce que c'est ça qu'on appelle l'addiction? Allez-y, soyez honnêtes, j'encaisse.

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