• Je mâchonne conscienscieusement l'extrémité de mon stylo depuis dix bonnes minutes, le regard errant toujours sur la même page, de bas en haut de haut en bas, de gauche à droite ça n'a pas de sens essayons de droite à gauche non toujours pas... La moue sceptique que me reflète la vitre n'est pas non plus encourageante. Il est vingt et une heure trente, Andy ne viendra pas j'en suis sûre, et l'envie de descendre quelques bières pour dissiper l'haleine fétide de la cigarettes se fait tenace. Je sors de l'appartement et cours en chaussettes dans la cage d'escaliers, je galope trois étages plus haut et frappe frénétiquement à la porte de Dionne, qui m'ouvre avec sa tronche éberluée pleine de rondelles de concombres. Je ris au point qu'il me faut m'adosser au chambranle, et quand j'ai fini de faire mon hystérique -il ne viendra pas- je m'excuse en essuyant mes yeux humides de rire et lui dis "-Tu viens? J'ai envie d'aller embrasser des garçons."

    "- T'as pas du boulot toi? qu'elle me fait, soupçonneuse, pas décidé à me pardonner ma joie moqueuse.

    - J'y comprend rien et tu sais bien, les lettres c'est pas mon truc, je mens.

    - Il viendra pas c'est ça?

    - Merde tu fais chier Dionne! Magne toi je t'attend en bas."

    Je pars avec une démarche faussement excédée et rejoins l'appartement douillet, ramassant au passage le chat qui s'était aventuré dans cet univers terriblement inconnu et de fait terriblement interessant qu'est l'escalier. Il proteste le bougre "Meoooow" suivi d'un coup de patte rageur pour tenter de m'arracher le nez, enfin je crois c'est pas très précis une patte de chat.

    Je déblaie rageusement le lit couvert de cahiers aux couvertures bariolées, qui se veulent probablement festives et encourageantes -c'est raté- -et en plus il ne viendra pas- et me farde outrageusement, comme une entraîneuse en mal de clients -tiens en voilà une jolie manière de dire vieille pute, me susurre mon subconscient, qui n'est jamais en mal de conneries celui-là.

    Par la fenêtre fermée me parviennent les sons colorés et suffocants du marché de Noël, tandis que les guirlandes lumineuses qui ornent la rue me font un salon bleu puis rouge puis bleu puis rouge et ça peut durer longtemps.

    La foule festive et fiévreuse se presse aux devantures qui fleurent bon le chocolat, les épices chaudes, le vin qui réchauffe puis du même pas bousculé s'entasse dans les autos-tamponneuses -moi à leur place j'aurais fait ça dans l'autre sens- et je les déteste parce qu'ils ont l'air heureux et que moi je ne veux surtout pas l'être, et je les déteste parce que je les envie. Leur insouciance et leur légéreté me glace tout autant qu'elle m'attire, et Dionne entre dans la pièce, emmitoufflée dans ce que j'appellerais un sac de couchage avec des manches.

    Nous voici dans le vent glacial qui tourbillonne autour de nous, cherchant par où s'engouffrer dans nos pelures d'hiver, et les lumières de la fête me semblent soudain irréelles, un mirage surgi d'on ne sait où, ironique et flou, mais les effluves barbapapesques qui m'assaillent sont elles bien réelles. J'ai toujours eu une sainte horreur de Noël, des simulacres et des foules organisées, mais ce soir je veux bien faire un effort, et puis on est venu embrasser des garçons et pour que ça marche, il va falloir mieux qu'un sourire maussade et des yeux blasés.

    Dionne m'entraîne habilement dans le coin des ivrognes, qui se réchauffent autour du vin brûlant et nous nous saoulons doucement dans la douce saveur épicée et ennivrante. Lorsque la morsure du froid n'a plus de prise sur nous nous nous égaillons dans les ruelles alentours, plus calmes et moins chahuteuses que la place principale, dans lesquelles errent des groupes d'étudiants en mal de vie, tous plus ou moins éméchés. Nous prêtons rapidement nos lèvres gercées à de jeunes et fins adultes désabusés, qui citent Cioran en nous faisant boire dans leurs bières, et nous comptons, 1, 2, 5, puis bientôt 10 victimes chacune, ne nous arrêtant pas, sous l'oeil réprobateur de quelques donzelles plus inhibées et certainement jalouses, ferrant avec l'oeil pétillant et consommant avec une belle honnêteté. Lorsque les douze coups de minuit sonnent, nous revêtons nos habits de citrouilles, et nous évadons de bras inquisiteurs et insistants. Le froid et l'alcool me mettent les larmes aux yeux et je dois avoir l'air d'un Pierrot désanchanté avec tout mon maquillage fuyant.

    Nous battons en retraite avec de vagues promesses de se revoir, car il faut bien s'en sortir d'une façon ou d'une autre et nous replions dans l'appartement de Dionne pour se finir tranquillement à l'herbe. Tandis que Dionne monte quatre à quatre devant moi pour soulager sa vessie complètement bourrée, je ramasse sur mon paillasson une petite lettre soigneusement pliée en quatre, que j'identifie immédiatement à l'instant ou mon coeur produit un effrayant bruit de verre brisé. Et pendant que je lis tes mots Andy, mes yeux débordent et je songe qu'il va m'en falloir un bien tassé pour dormir. "Tu vois, je suis venu finalement".


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  • "- T'as pas faim toi?" je demande.

    Lurp marmonne une incompréhensible bouillie de mots, mais le mouvement de sa tête laisse à penser que non, il n'a pas faim. Pas très étonnant, il doit avoir l'estomac aussi en vrac que la tête à force d'ingurgiter les Xanax comme des bonbons. Je me lève lourdement de mon fauteuil, bien décidée à remplir mon estomac avec quelque chose de solide pour changer, et me dirige avec mes semelles de plomb vers la cuisine, qui pour l'occasion se trouve au moins à trois kilomètres. Je viens de dormir plus de 14h, et je n'ai jamais été aussi fatiguée de ma vie. Un genre de cercle vicieux, la fatigue. A bien y réfléchir, je ne suis pas fatiguée, j'ai sommeil, c'est pas la même chose, les insomniaques comprendront. Mon estomac s'agite et les borborygmes qu'il produit semblent exiger, si ma traduction est exacte, une quantité monstrueuse de nourriture, chaude et salée de préférence. J'ose m'imaginer qu'il n'y a rien de tel à l'instant dans cette cuisine... J'ouvre un à un les placards, tous aussi desespérément vide hormis de vieille boîtes de sardines (c'est pas chaud) et des paquets de pâtes à moitié vide (encore moins chauds). Il ya bien un quart de tarte aux pommes qui reste, mais il n'est pas salé (et c'est une bonne chose, si si).

    Rassemblant tout mon courage, je me traîne jusqu'à la salle de bain histoire de réintégrer mes loques d'hier, et il me faut une bonne demi-heure pour enfiler et lacer mes chaussures. L'idée d'abandonner m'a déja effleurée une bonne quinzaine de fois, l'appel du lit, sa douceur et sa chaleur me suppliciant. Je jette un dernier regard à la loque qui me sert occasionellement de petit ami, hésitant entre le secouer, le doucher et l'habiller pour l'emmener avec moi, ou l'achever avec deux trois coups de pieds bien sentis. De peur que la deuxième solution l'emporte, je sors en catastrophe, et à l'instant ou le battant de la porte blindée s'enclenche derrière moi, je réalise que j'ai oublié ma clé. Bon, qu'à cela ne tienne, dans son état il ne pourra ouvrir à personne avant longtemps, autant demander au chat de le faire. Résignée, je descend l'escalier et débouche enfin à l'air libre, il est 14 heure, nous sommes en novembre et il fait un temps magnifique. J'opte pour un grec sauce blanche bien dégoulinant avec trois tonnes de frites, me retient de le manger avec delectation pendant 10 mn et m'avachit sur un banc du parc, la salive coule en moi par litres, je sors de ma besace mon livre du moment, et mords avec bonheur dans le sandwich moelleux. Et là, la liberté m'envahit.

    PS: spéciale kassdédi à B., je sais qu'il lit ce blog.


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  • Je regarde le jour qui décline à travers le verre étoilé de la fenêtre. Un pigeon s'est écrasé violemment sur le carreau ce matin, et les sillons iridescents qui courent le long du verre sont légèrement teintés de rouge, funeste étoile glacée qui renferme en son coeur le sang vermillon de l'oiseau mort.

    Le café dans ma main de refroidit tandis que les cendres de ma cigarette tombent une à une sur le parquet, comme une fine neige grisâtre.

    Je me pelotonne sur le canapé, une couverture étalée sur mes genoux et me plonge dans mon bouquin, en attendant que Lurp rentre.

    Les minutes s'écoulent sans que je m'en aperçoivent, plongée que je suis dans mon monde onirique et il fait nuit lorsque le bruit de la clé dans la serrure me fait sursauter. Lurp entre, marque un temps d'arrêt, sans doute surpris par le silence nocturne de la pièce, puis referme la porte derrière lui. Nos deux cigarettes sont des points lumineux dans la nuit, et nous nous approchons l'un de l'autre à tâtons, uniquement guidés par les phares rougeoyants. Je sens sa main se poser sur mon bras, et remonter jusqu'à mon cou, palpant le terrain, et je l'arrête subitement. Son pull porte l'odeur prononcée et envoutante d'un parfum féminin, capiteux et sensuel.

    Dans mon cerveau se construit l'image de cette femme, constituée de morceaux d'effluves... elle doit être belle, d'une beauté de madone, le visage grave mais serein, son corps est probablement long et souple, doux, avec des hanches et une poitrine d'odalisque, toute en courbes et en féminité. je peux presque sentir sa peau satinée, la dentelle qui pare ses rondeurs, ses cheveux qui dégagent le même parfum envoûtant à chaque mouvement. La femme qui porte un parfum aussi suave et entêtant ne peut qu'être la sensualité incarnée.

    Et Lurp, qui tente de forcer ma main, qui veut me caresser le visage, qui cherche mes lèvres... Sa bouche, qui sent l'intimité d'une autre force mes lèvres à s'entrouvrir, sa peau est imprégnée d'elle, de cette odeur, de cette différence qui m'écoeure et m'attire à la fois. C'est elle que je veux à travers lui, c'est elle que je touche quand mes mains soulèvent la chemise et se pose sur le torse, s'attendant presque à y trouver du volume, de la douceur, une peau douce et sucrée, brûlante et tendue. Mais sur sa peau à lui, leurs odeurs mêlées, leurs sueurs et leurs fluides mélangés, lui donnent le goût de la trahison, de la luxure, de la bête. Alors je fond sur lui, je dévore son corps, je le possède, je le dompte, et je ferai mieux qu'Elle.


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  • Depuis trois jours la fièvre ne me quitte plus, s'ostinant à reserrer son éteau sur mon crâne endolori. Mes yeux sont brillants, mes joues rougies par la maladie et mon corps est couvert de sueur tour à tour brûlante et glacée. Je perd la boussole, le délire s'empare de moi et alors les pensées et les images les plus obscures envahissent mon cerveau tuméfié, ravaudent mes oreilles et sourdent à travers la peau luisante de mon front. Lorsque les médicaments font effet, mon corps se refroidit, je commence à trembler et redeviens d'une étonnante lucidité, pour tomber aussitôt dans un sommeil agité et cotonneux. Depuis trois jours Lurp me veille. Il a fait venir un médecin lorsque j'ai commencé à hurler dans mon sommeil que je ne voulais pas faire du skate sur le toit, et que mon corps était agité de spasmes, tandis que mon souffle exhalait des relents vénéneux et putrides. Il a couru à la pharmacie de garde en pleine nuit, en prenant soin de me couvrir de couvertures en tous genre avant de sortir. Il m'a donné mes médicaments un par un, comme à une enfant, en ajoutant du sirop à mon eau pour qu'elle blesse moins ma gorge enflée. Il m'a portée jusqu'au toilettes lorsque mes jambes ne me portaient plus, et tous les jours il s'est affairé à préparer des soupes, quelques légumes bouillis, un peu de yaourt afin que je reprenne des forces. Lorsque j'ai exigé, ulcérée par les vagues de chaleur qui montaient de mes pieds à ma nuque, traçant un sillon collant de sueur sur mes reins, de sortir prendre l'air, il a d'abord refusé puis, devant mon agitation, m'a couvert de mille et uns vêtements, écharpes, bonnets avant de m'emmener faire quelques pas au bord de la seine. Plusieurs fois, lorsque la fièvre enfin me laissait entrevoir la réalité, je l'ai remercié en pleurant de son attention et de sa sollicitude, débordante d'une reconnaissance inédite.

    Lorsque ce matin, un peu plus lucide qu'à l'accoutumée, entrant enfin dans la phase de guérison, je me suis levée de mon lit froissé et puant de malade, je me suis dirigée en chancelant vers le salon, dont il avait fait sa chambre pour me laisser me reposer, je l'ai trouvé sanglotant doucement, les larmes tombant au goutte à goutte sur le livre posé sur ses genoux, imprimant au milieu des lettres de longues coulures noirâtres. Je me suis assise à ses côtés sur le canapé, enveloppée dans ma couette, sale et échevelée, et craintivement, j'ai demandé ce qui n'allait pas.

    "-Depuis trois jours, depuis que tu es partie dans le monde des rêves fiévreux... voilà trois jours que tu m'appelles Andy."

    Laissez moi me haïr.


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  •  

    Kim est assise sur le rebord de la fenêtre, son dos dénudé offert aux rayons chauds de ce soleil d'automne, et le stick coincé à la commissure de sa lèvre rouge sang exhale un parfum fort et entêtant d'herbe et de plantes. Son regard est concentré sur ses pieds, et sa main manipule avec précision le petit pinceau qui laque ses ongles de femme fatale. Assise sur le tapis je la regarde faire, en feuilletant paresseusement le magazine qu'elle a déposé sur la table en arrivant. Les pages sont remplies de mannequins fades et maigrichonnes, qui ne plaisent pas non plus au chat puisqu'il se met à déchiqueter la couverture de ses petites canines pointues.

    J'avale d'une gorgée le fond de mon verre et je demande à Kim si je peux la prendre en photo.

    "- Bien sûr, qu'elle fait, en articulant pas trop pour ne pas perdre son joint. Tu fais tout ce que tu veux poupée, sauf me faire rire, j'ai pas de dissolvant.

    - J'en ai t'en fais pas, sauf si Lurp à tout sniffé."

    Elle pouffe. "Putain qu'est-ce que je t'ai dit? Me fais pas rigoler grosse naze!"

    Tout en préparant l'appareil je la mate du coin de l'oeil, c'est vraiment une fille magnifique. J'avoue un net penchant esthétique pour la beauté féminine, même si ça n'induit aucune attirance physique. Je trouve tout simplement le corps féminin infiniment séduisant, fait de courbes et de creux, la lumière y fait naître des ombres mouvantes sur une peau lisse et velouté qui accroche le regard, ses hésitations et ses attitudes me mènent parfois au bord des larmes.

    Kim ressemble à une de ces anciennes stars du cinéma, d'une féminité exacerbée par sa chevelure blonde platine, son maquillage d'une autre époque et ses formes plantureuses. Je lève l'objectif vers elle et cherche le meilleur angle pour saisir cet instant où elle arbore une moue contrariée, un faux mouvement du pinceau sûrement, ou bien celui où ses mèches lumineuses s'échappent de derrière son oreille et viennent lui chatouiller les joues. En sa présence je me sens terriblement quelconque, et j'ai la sensation bizarre d'être devenue invisible, happée par l'auréole de lumière qui l'entoure. Je prend encore quelques clichés, et lorsque sa séance vernissage est terminée, je pose l'appareil et nous verse deux whiskys bien tassés. Elle me passe le joint déja bien entamé, et le bâtonnet rougeoyant me réconforte un peu. Kim s'assied à côté de moi, je sens l'odeur entêtante de son parfum m'envahir. Sa main baguée soulève doucement mon menton et tient mon visage dans la lumière. Elle me dit: "J'ai toujours rêvé d'avoir une beauté étrange, comme la tienne. Ton visage est si expressif, si grave et émouvant... On y lit une histoire, on a envie de s'y perdre. Ce sera à moi de te prendre en photo la prochaine fois. Mais je ne suis pas sûre que la pellicule soit capable d'imprimer ton humanité."

    Gênée, je dégage mon visage de ses mains douces et consume la moitié de ma cigarette en une seule inspiration. Je la regarde du coin de l'œil, et m'aperçoit qu'elle est sérieuse, troublée.

    Les yeux baissés, je bafouille un « merci » à l'attention de ses ongles rutilants, et me laisse submerger par l'onde de plaisir. C'est honteux, mais ça fait du bien à mon égo tiens...


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