• De nouveau ce besoin de changer d'air, de prendre mes cliques et mes claques et de fermer la porte en jettant la clé. Ca ressemble à une fuite, ca sent comme une fuite, de fait c'en est probablement une. J'ai l'impression d'etouffer, de mariner dans mon jus, de m'étioler. Je ne veux pas déja être vieille. Ou plutôt, je ne veux pas déja être morte.

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  • La sonnerie persistante déchire mon rêve lentement, le distend, implacable, à la manière de l'acide sur une photographie. Je remonte du fond de mon sommeil rapidement, comme un plongeur qui voit se rapprocher la lumière du jour. Le téléphone sonne toujours. Je jette un coup d'oeil sur l'horloge et me prend à regretter la brève sonnerie du réveil-matin: 4h13 . Lurp se retourne en grognant.

    "- Allo?
    - C'est Kim, faut que tu viennes me chercher j'ai une galère.
    - T'es où?
    - Au Loopa. Grouille steuplé.
    - Bouge pas j'arrive. "

    Un jean, un sweat, une clope. Ma caisse exhale une odeur ecoeurante de vieux cendrier froid, et je roule vitres grandes ouvertes malgré la pluie cinglante jusqu'au Loopa.
    C'est le seul établissement encore allumé de la rue, son néon rose et bleu clignote frénétiquement, annonçant "live show 24/24". Kim se désape ici pour arrondir ses fins de mois, on en parle pas souvent et je sais qu'elle s'en fout, son seul interêt dans ce taf c'est de gagner beaucoup en peu de temps. Je laisse mon cendrier géant en double-file, le coin est plutot mort, vu l'heure tardive. Le caissier me laisse passer avec un regard mi-lubrique mi-soupconneux, et je fonce jusqu'à la loge commune des filles. Kim est effondrée sur un tabouret, en pleurs, voilà ma Kim qui ressemble à une vieille pute déglinguée. Son collant est tout filé, ses genoux écorchés, sa chemise en lambeaux dévoile des hématomes impressionnants sur ses côtes.
    Je m'approche, et fais signe à la jeune chinoise qui lui tend des mouchoirs de nous laisser.

    "- Hé Kimmy, je suis là, je suis venue te chercher.
    - Rho bordel de merde, ils m'ont pas ratée.
    - Viens on rentre, je t'emmène à la maison. Tu me raconteras dans la voiture. "

    Je fourre Kim sur le siege avant avec mon vieux plaid crasseux sur les genoux. Je lui allume une clope, et une pour moi hop c'est ma tournée, et lui dit "Vas-y raconte".
    Elle me raconte comment trois jeunes types qu'elle avait envoyé bouler dans l'après-midi lui sont tombés sur le râble, je connais Kim, c'est pas une pute, elle refuse invariablement les inévitables propositions. Comment ils étaient cachés entre les voitures, comment elle a hurlé et s'est débattu, comment elle a couru, et pour finir comment elle a crevé un oeil avec son talon à un des types. Comment elle en a profité pour sortir sa bombe anti-agressions (elle connaît les risques du métier quand même) et pour retourner en courant au Loopa. Et qu'elle avait peur de ressortir chercher sa voiture, persuadée qu'ils l'attendaient.
    Je lui dis qu'elle a bien fait de m'appeler, qu'on va soigner ses bleus et qu'il va falloir changer de travail. Et qu'elle a l'air d'un vieille pute déglinguée. Et ça, ça nous fait bien rigoler.

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  • J'entre dans la pièce enfumée, Dionne sur mes talons, et j'aperçois immédiatement Lurp vautré dans un canapé entre deux jolies blondes qui le regardent d'un air fasciné. Lui ne me voit pas, approche sa bière de ses lèvres avec un sourire charmeur que je connais bien, ses yeux voilés de volutes de fumée qui s'élèvent paresseusement vers le plafond. Blonde numéro 1 se rapproche de quelques centimètres, l'air de rien, et tend son décolleté vers mon homme qui s'y noie aussi sec. Blonde numéro 2 rigole bêtement, il faut bien se faire remarquer, et le coup du decolleté est déja pris.

    Je me dirige vers la cuisine, et tend une oreille distraite vers Dionne qui énumère les divergences de je ne sais quels politiciens est-allemands.

    Kat est assis à la table des joueurs de carte, et la somme qui trône au milieu de la table laisse à penser que certains repartiront sans chemise au petit matin. J'embrasse Kat et lui tend la bouteille de Zubrowska que j'ai ammené, et me sers un Martini. Je quitte les joueurs sur un sourire d'encouragement et me retrouve de nouveau dans la brume moite de sueur du salon.

    Au milieu de la pièce deux jeunes filles qu'on dirait à peines pubères dansent langoureusement collées, et un petit cercle de mâles en rut s'est formé autour d'elles, dans l'espoir sans doute d'assister à un spectacle torride lesbien. D'autres couples moins tape-à-l'oeil se tremoussent plus ou moins élegamment, et la pièce entière est impregnée de cette odeur d'alcool douceâtre et entêtante. Plusieurs canapés sont occupés par des duos salivaires, dont certains sont des trios avec un nombre insensé de mains qui caressent et pelotent gaiement. Je cherche desespérément du regard un cendrier, et mes yeux s'attardent de nouveau sur le fond de la pièce, où Lurp est toujours en pleine opération séduction, une main dans les cheveux de blonde numéro 1 et l'autre sur sa clope. Lurp a beaucoup de charme et sait parfaitement comment s'en servir, et je ne doute pas un seul instant que sa proie soit conquise. Je sais également que lui seul décidera de la limite, jusqu'où ira-t-il avec elle, je ne peux le deviner et elle non plus. J'ai du le dévisager avec insistance car cette fois-ci Lurp m'a vu, il a tourné son regard étrangement sombre vers moi et si l'expression de son visage est toujours rieuse et détendue, ses yeux se sont fait froids et inquisiteurs, sans la moinder nuance de culpabilité ou d'excuse. Je hausse les épaules et me détourne, je ne rentrerai pas dans son jeu. Vis ta vie mec, je m'en cogne.

    Quelque part dans l'atmosphère tamisée de mon champ de vision apparaît Soumir, le bienfaiteur au cendrier qui cueille ma cendre emportée par la pesanteur, et qui me prend dans ses bras pour me faire valser, amuse-toi jolie poupée. Je me laisse prendre au jeu, et bientôt Soumir et moi sommes deux corps tendus et fiévreux, et Soumir quete dans mon regard l'approbation ultime. Je sors un pilulier de ma poche et avale un rohypnol, lui en propose un, et le guide jusqu'à la salle de bain. Un coup d'oeil par dessus mon épaule, Lurp ne prête plus aucune attention à nous.

    Soumir me plaque contre le carrelage froid du mur, je sens son impatience et je deboutonne son jean a toute allure, m'ecorchant les doigts sur les boutons. Lorsque, un peu plus tard, je le sens en moi, les larmes se mettent enfin à couler sur mon visage, à rouler dans les plis de ma bouche, je sens leur goût salé et les coups de bassin de l'homme qui me possède, et je me sens affreusement triste.

    Soumir me nettoie et me rhabille, comme il ferait d'une poupée de chiffon. Puis il m'allume une clope qu'il me coince d'autorité dans la bouche, et m'administre un petit coktail d'amphets dans l'espoir de me remettre d'applomb. Le résultat ne se fait pas attendre. Je me lève et lui claque une bise sur la joue, et les yeux brillants, je met de nouveau le cap sur la pièce principale, dont les sons étouffés me parviennent, chargés de relents d'alcool et de drogues.

    Je fonce jusqu'au canapé cramoisi qui abrite les roucoulades de Lurp, m'assied directement sur ses genoux sous les yeux médusés de blonde numéro 1, et lui chuchote à l'oreille:

    "Je t'aime. On s'en va?". Ses yeux me répondent: "Avec plaisir".


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  • J'étais en sueur, tremblotante, mais soulagée. Ca faisait longtemps qu'on avait pas fait l'amour, Lurp et moi. Souvent parce qu'on etait trop defoncés, à moins qu'on ne fut en manque. Sans compter les difficultés d'erection, les douleurs gastriques ou cardiaques. Nos corps avaient du mal à suivre le rythme qu'on leur imposait, forcément.
    Je me redressai, épongeai les perles de sueur sur mon visage et tendit la main pour attraper une clope. Lurp remua mollement à mes côtés, et je lui fourrai une cigarette allumée dans le bec. Il têtait comme un gosse.
    Mon cerveau bouillonait un peu, et je me levai en chancelant, les jambes coupées par l'effort. En prenant la carafe sur le bar, j'aperçus une plaquette de pilules bleues en fome de losanges entamée qui gisait à mi-chemin entre le tapis et le lit. Je pensai un instant à l'ironie de la situation: contrer les drogues qui nous interdisaient l'amour avec des drogues pour faire l'amour, on aurait dû y penser plus tôt. Je tournai le regard vers Lurp, absorbé dans la contemplation de sa cendre qui formait des motifs abstraits autour de son nombril, et résistai à l'envie de lui envoyer un cendrier dans le crâne.
    Ma clope coincée à la commissure des lèvres, je m'assis devant le clavier et entrepris de rédiger un paragraphe sur l'efficacité du Viagra, à l'attention des fidèles lecteurs de mon blog. Mais devant la résistance du serveur à me connecter à ma page, j'abdiquai et optai pour un bain, en espérant me noyer dedans par la même occasion. J'étais fatiguée.
    Je marinais tranquillement quand la voix de Lurp s'éleva:
    "- Je vais chez Lexie, j'en ai pas pour longtemps."
    Je pris quand même la peine de répondre.
    "- Ok."
    Concis, oui. Que dire de plus? Lexie deale des médicaments, ces mêmes médicaments dont on se bourre sous pretexte de branchitude. C'est mal venu de ma part de critiquer, j'en suis. Sauf que des fois ça m'enerve. Et là ça m'énerve. Toucher du doigt cette normalité durant quelques heures, et me voilà prête à tourner la page, à recommencer une nouvelle vie, à purifier mon corps et à entretenir mon âme. Je voudrais que Lurp me suive et vienne avec moi elever des moutons dans le Cantal, et on deviserait philosophie le soir au coin du feu, avant de se coucher, tendrement enlacés. Finalement, peut-être qu'il y a que dans notre merde qu'on peut s'aimer.
    J'avais assez trempé, mes doigts commencaient à se friper. Je sortis de l'eau, fit tomber mon mégot dans un mouvement gracieux et pestai parce que je n'avais rien pour m'essuyer. Je traversai en courant le salon, enjambai les quelques kilotonnes de fringues sales qui encombraient notre chambre, et atteignit enfin une serviette. De toutes façons j'étais sèche.
    Quelques cigarettes plus tard, j'étais dehors, le soleil dissipait lentement les nuages et je retrouvais un semblant d'optimisme. Pour fêter ça, je decidai de profiter un peu de l'air extérieur, et laissai un message à Lurp pour lui dire de ne pas m'attendre. Puis un deuxieme pour lui dire que j'aimerais que lui et moi ayons une vie plus normale, plus saine, tu vois quoi. Puis un troisieme pour lui demander d'oublier le deuxieme. Et enfin un quatrieme pour lui dire en pleurant que je ne savais plus quoi faire. A ce stade je decidai de rentrer, l'air extérieur de me vaut rien manifestement.
    Je trouvai Lurp devant la porte, frais, éveillé, amoureux. Le Lurp que j'aime en fait.
    "- J'ai oublié mes clefs, qu'il me fait.
    - Gros naze, je lui répond, en l'embrassant.
    Il me regarde fort, avec ses yeux à la fois doux et perçants, il essuie une trace de maquillage que j'ai fait dégouliner tout à l'heure et il me dit d'un air engageant:
    - On va au MilKanter?
    - Ouaip."
    On se prend la main et on fait les amoureux dans les rues, on se bisoute, on se regarde, on se tripote et on se chamaille. On est sobre l'un et l'autre. On fume la même cigarette.
    Le MilKanter, c'est une taverne où on va quand on doit parler. C'est une espèce de tradition. Ca fait plus de deux ans que je connais Lurp maintenant. La première fois qu'il m'a emmené au MilKanter, il m'a assise devant une choppe de Faro et il m'a expliqué que c'était pas son habitude de piquer les copines des copains, mais qu'on étaient fait l'un pour l'autre et qu'il pouvait pas ne pas tenter sa chance. La deuxième fois, c'est moi qui l'ai entraîné pour lui dire que j'avais réfléchi et qu'il avait peut-être bien raison. On y va aussi quand on doit se disputer, comme ça notre appartement reste un lieu d'amour et de pleins d'autres trucs, mais certainement pas de colère et de querelles. Et puis ça nous evite de nous envoyer la vaisselle à la tête, encore que au MilKanter, maintenant quand ils nous voient arriver ils nous donnent des verres en plastique. Et des cendriers en aluminium. Et ils croient qu'on a rien remarqué.

    Lurp commence, en caressant nerveusement son verre de bière. Sa cigarette se consume sur deux centimetres a chaque fois qu'il tire dessus, un de ces jours je lui installerai un pot d'échappement.
    "- J'ai rien pris à Lexie.
    Une pause. J'attends qu'il continue.
    - T'as raison tu sais. On a été trop loin ces derniers temps. On va recadrer tout ça.
    Je suis contente, c'est ça que je veux. Je veux pas qu'on arrête tout, juste qu'on régule un peu notre consommation, pour qu'elle soit agréable, mais qu'elle ruine pas tout le reste. Je souris tendrement, et ma clope me picote bêtement les yeux.
    Lurp me prend la main, et je lis dans ses yeux que le monde extérieur l'effraie. Alors je lui réponds avec mes yeux que je vais l'aider. On liquide nos bières en se promettant plein de choses, et on rentre à la maison en se serrant frileusement l'un contre l'autre. L'automne arrive à grands pas.

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  • font parties de ces mots qui sonnent justes.

    Bonjour et bienvenue chez moi.

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