• Intérieur jour, mercredi 15h.

    Ma clé tourne dans la serrure et s'ouvre sur l'appartement silencieux. Je m'attendais à plus d'animation, Lurp à dû sortir, ou alors il dort encore. Le chat se frotte contre ma jambe en ronronnant, puis se poste devant la porte de la salle de bain qu'il se met à gratter frénétiquement. Je pose les sacs qui m'encombrent, il fait une chaleur incroyable chez nous, le proprio a du rallumer la chaudière, quoi qu'il en soit c'est étouffant. Je me dévêt légérement et constatant que le chat gratte toujours à la porte de la salle de bain, je lui ouvre.
    La pièce est emplie de buée, il y règne une chaleur tropicale. Instantanément la sueur colle mon t-shirt à ma peau. Je me rend compte que Lurp est dans la baignoire fumante, bon sang, ça doit bien faire entre 42 et 45 degrés! Il est rouge comme une écrevisse et a l'air légérement hébété. Le flacon vide de mandrax doit bien y être pour quelque chose. J'avance vers la baignoire et des débris de verre se mettent à crisser sous mes pieds, et quand je me penche vers le sol pour voir à travers l'epais brouillard je réalise que ce sont des morceaux de miroir. Le cadre de la psyché dessine une silhouette tranchante et aceré, comme dans les dessins animés, sauf que ce sont de vrais gouttes de sang qui sechent sur les pointes de verre effilées.
    Je m'agenouille près de la baignoire, au milieu du verre brisé et me penche sur Lurp, qui marmonne des paroles incompréhensibles. C'est plus fort que moi, il faut que je l'engueule.
    "- Mais tu comprends pas que tu peux pas continuer comme ça? Tu vois pas que je flippe dès que je te laisse seul, que je sais jamais en combien de morceaux je vais te retrouver? Merde! Regarde l'état de la salle de bain. Tu peux pas démolir tout l'appartement à chaque fois que ça va pas, les gens normaux ne font pas ça Lurp!"
    J'ai besoin de lui dire et en même temps ça me fait mal au coeur de gueuler sur lui, il est tout comateux, il a les paupières qui dégringolent... Je fouille fébrilement un tiroir pour en extraire une cartouche de cigarettes, m'arrache deux ongles en essayant de la déballer, et quand enfin je tiens un batonnet salvateur entre mes mains fébriles je l'expédie d'un tremblement bien ajusté dans l'eau du bain. La deuxieme est la bonne, les bouffées toxiques me soulagent immédiatement.
    "-Tu sais, on peut pas continuer comme ça, je lui dis plus doucement. Tu est en train de te démolir et je veux pas voir ça. On en a déja parlé, je peux pas te porter sur mes épaules, c'est trop dur pour moi.
    - Et ben casse-toi, j'ai pas besoin de toi." Sa voix est rauque et dure, malgré ses difficultés à articuler correctement. Il doit être en pleine descente, il a cet air destructeur et déterminé qui me fait peur. Je sais que je ne peux pas l'aider.
    Il reprend, de son ton monocorde et effrayant:
    "- Tu attends que ça depuis des mois, tu crois que j'ai pas vu que tu es malheureuse? T'as plus rien à faire avec moi, tire toi et laisse moi tranquille.
    - Non mais je rêve, c'est toi qui nous pourris la vie, c'est toi qui démolis tout et au final c'est moi la chieuse? Mais tu t'es regardé? T'as plus rien d'humain, t'es une loque, je sais plus quoi faire pour que tu tiennes plus de 48h sans comater! J'ai pas envie de te quitter, je t'aime, mais si tu savais comme c'est dur de vivre avec toi...
    - Si c'est si dur que ça, t'attends quoi? Que je te jette? Que je veuille plus de toi? Et ben voilà, c'est gagné, barre toi j'ai plus envie de te voir.
    - Je dois comprendre quoi?
    - C'est pas français peut-être ce que je dis?
    - C'est fini alors?
    - C'est fini."
    Je sens les larmes qui commencent à couler sur mes joues alors qu'un noeud se forme dans ma gorge. Je me leve d'un pas mal assuré, ma clope tremblotant au coin des lèvres, et me dirige vers la porte. Je jette un dernier regard vers Lurp, ses yeux brillent de larmes mais restent obstinément fixés sur la surface floue de l'eau brûlante.
    "-Pourquoi? je demande.
    - Je ne peux plus supporter de te rendre aussi malheureuse. Tes crises de larmes, tes reproches voilés, tu dis que tu ne peux te résoudre à partir, alors je te libère. Je t'aime, mais ce n'est plus possible."
    Je sors de la pièce embuée. Le chagrin et le choc me laissent entièrement désemparée, grelottante dans mes vêtements humides, les sanglots coincés dans ma gorge, me privant d'air frais. Je m'effondre sur le lit, secouée de spasmes nerveux, et pleure longtemps, comme un animal râlant et rugissant, humide de mes larmes, d'une bestialité si humaine...

    Intérieur nuit, mercredi 21h.

    La porte d'entrée qui claque me tire du sommeil profond et réparateur qui m'a saisie au bout de plusieurs heures d'enfer. Mes yeux sont secs et gonflés, j'ai la gorge sèche et je me sens étrangement absente, vidée.
    J'allume une cigarette et mes yeux protestent contre la flamme vive qui m'éblouit et déclenche une serie d'étincelles sous mon crâne. Je me lève, mon corps semble si lourd, mon ventre est noué, j'ai l'impression de faire un cauchemar éveillée.
    Lurp me bouscule dans le couloir et s'enferme dans la chambre d'ami. Je l'entends sangloter violemment, et les larmes me chatouillent de nouveau les sinus alors que je repense à tout ce gâchis.
    Je m'assied devant mon ordinateur, mais je ne parviens à fixer mon attention sur rien. J'ai beau lui en vouloir, je sais aussi que lurp a fait preuve de courage en nous infligeant cette décision que je ne parvenais pas à prendre. Mais est-ce que l'on a vraiment tout essayé? Ne restait-il que la rupture? Je suis prête à tous les sacrifices pour que cette souffrance s'arrête, je veux croire qu'il n'attend qu'une chose, que je lui dise que je veux être avec lui, malgré les obstacles.
    De toutes façons je ne peux pas rester là à attendre.
    Je frappe à la porte, un grognement m'enjoint à rebrousser chemin, néanmoins je pousse doucement le battant, et entre dans la pièce sombre. Lurp est allongé sur le lit, le visage enfoui dans l'oreiller, secoué de sanglots, et je ne supporte pas de le voir ainsi. Je m'approche et m'agenouille à son chevet.
    "- Je t'ai apporté un verre d'eau, dis-je en le posant sur la table de nuit, et des mouchoirs, tu as l'air d'en avoir sacrément besoin."
    Il marmonne un remerciement, dégoulinant de morve et de larmes. Je m'assied au bord du lit, et lui caresse doucement les cheveux, tandis qu'il pleure et pleure encore, des larmes longtemps contenues, des larmes qui font le coeur gros et qui secouent tellement qu'on en a mal physiquement.
    Je le serre dans mes bras, la crise de larme se tarit peu à peu, je le berce, doucement, je lui parle comme à un enfant pour apaiser son chagrin, et il s'agrippe à moi, m'etouffe presque, ses larmes ruissellent dans mon cou, mon visage est baigné de sa tristesse. Lorsqu'il retrouve son souffle, je m'éloigne un peu de lui et m'allonge à ses côtés, sur le lit, ma main parcourant son torse. Les minutes s'écoulent, egrenées par de petits renifflements, les idées s'assemblent, les corps s'apaisent.
    "- Il faut pas que tu restes là, j'ai envie de t'embrasser", dit-il dans un souffle presque douloureux.
    Je réfléchis quelque secondes avant de répondre.
    "- Embrasse moi si tu en as vraiment envie et que tu es sûr de toi, mais ne le fais pas si c'est pour m'annoncer demain que tu as réfléchi et que c'était une mauvaise idée. "
    J'ai peur de revivre ça.
    De nouveau le silence, longtemps. Je tremble à l'idée qu'il change d'avis, déja l'espoir s'est installé.
    "- Les problèmes ne sont pas résolus, tout va recommencer comme avant. Est-ce que ça en vaut la peine? Je t'aime, il me dit, je t'aime, mais on se fait beaucoup trop de mal. Et c'est pas faute d'en avoir déja parlé. Que peux-t-on faire de plus?
    - Je t'aime aussi, et ma voix tremble, et je sais qu'il a raison, mais je ne peux me résoudre. Je t'aime, il faut essayer encore. Je peux essayer encore, je peux faire encore des efforts. Tu dois le faire aussi, au moins une dernière fois."
    "- Il faut m'aimer très fort", j'ajoute, et les larmes jaillissent de nouveau de mes yeux que je croyais assechés.
    Lurp cède à la tentation, nous plongeons à coeurs perdus dans la facilité et ses bras se nouent autour de moi, sa main passe dans mes cheveux, ses lèvres épousent la forme des miennes et nos langues se mélanges, impatientes et fiévreuses, nos corps se réclament et son odeur m'enveloppe, m'envahit, et c'est bon, c'est comme un shoot après une phase de manque, c'est une plénitude ennivrante et légère. Des doigts fébriles dégraffent mon soutien-gorge, tandis que ma main s'introduit sous la ceinture de son jean, et nous faisons l'amour tendrement, longuement, sans que nos bouches se décollent un instant, au milieu des mouchoirs sales, des draps humides et de l'obscurité visqueuse qui nous englue.

    Advienne que pourra.

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  • ... si je ne suis pas très loquace, mais voyez-vous, je viens de me faire larguer.

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  • Vais-je réussir à ouvrir les yeux et décoller mes paupières aujourd'hui?

    Pour oui tapez 1, pour non tapez 2. Ceux qui s'en foutent peuvent me taper directement.


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  • A tâtons j'éteins le réveil qui hurle sa plainte plus que monotone, et me redresse sur un coude, hagarde. La tête me tourne encore un peu, il faut dire que je me demande comment j'ai réussi à retrouver le lit avec tout ce que j'ai ingurgité comme degrés. J'enfile mon vieux peignoir rapé et me dirige vers le salon, en prenant soin de heurter violemment le chambranle de la porte de l'épaule gauche. J'ai un problème de visée en ce qui concerne les portes, c'est effrayant. Lurp a eu moins de chance que moi, il s'est échoué au niveau du canapé, et je me demande comment il peut dormir dans une position aussi improbable. Je remonte la couverture sur lui et m'allume frénétiquement la première clope de la journée. Le salon ressemble à un champ de bataille, mais néanmoins tout le monde a quitté l'appartement, nous sommes seuls. Dans la salle de bain, un message au rouge à lèvre clignote comme un néon sur le miroir. Mais allez déchiffrer un truc écrit par un mec ivre mort... Je sursaute en découvrant que ma plaquette de Xanax a été intégralement pillée, et je fonce sur Lurp, inquiète. Il a l'air de respirer normalement mais bordel, si il a tout avalé il va se payer un sacré trip. Ca explique que je n'arrive pas à le réveiller, et aussi ce filet de bave qui lui strie le menton, lui donnant l'air étrangement attardé. De toutes façons je n'ai pas le temps d'attendre qu'il se réveille, je vais être salement en retard. Je téléphonerai plus tard pour m'assurer que tout va bien. Je m'assied au bord du canapé et bois mon café brûlant en couvant du regard le visage étrangement serein de Lurp. Parfois on dirait un enfant, tellement vulnérable et innocent... Je lui essuie doucement le menton et l'embrasse tendrement, en lui souhaitant une bonne journée. Puis sans faire de bruit, je sors et referme la porte sur lui. Dehors, il pleut fort et le vent glacé me cingle les joues, mais rien ne peut me donner froid, je suis amoureuse.

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  •           Parfois, au milieu des révolutions incessantes de la roue, il m'était donné d'entr'apercevoir la nature du saut qu'il me faudrait faire. Se dégager d'un bond du mécanisme d'horlogerie - telle était la pensée liberatrice. Etre quelque chose de plus (quelque chose de différent) que le maniaque le plus brillant de ce monde! La fable de l'homme de ce monde m'ennuyait. La conquête, fût-ce la conquête du mal, m'ennuyait. Rayonner la bonté, c'est merveilleux, parce que tonique, revigorant, vivifiant. Mais être simplement, c'est encore plus merveilleux parce que cela n'a pas de fin et parce que cela ne demande aucune démonstration. Etre, c'est une musique, une profanation du silence pour le plus grand profit du silence; être, cela se situe par delà le bien et le mal. La musique, c'est la manifestation de l'action sans l'activité. C'est l'acte de création dans toute sa pureté, se baignant dans son propre sein. La musique ne stimule pas plus qu'elle n'interdit, ne cherche ni explique. La musique, c'est l'écho silencieux du nageur dans l'océan de la concience. C'est une récompense qui ne peut être accordé que par soi-même à soi-même. C'est le don du dieu que l'on est, parce que ce dieu à cessé de penser à Dieu. C'est un augure du dieu que chacun finira par devenir en temps opportun, quand tout ce qui est finira par être, au-delà de toute imagination.

                                                                Henry Miller

                                              Tropique du Capricorne, (1939)


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