• Un air de saison

    J'étais en sueur, tremblotante, mais soulagée. Ca faisait longtemps qu'on avait pas fait l'amour, Lurp et moi. Souvent parce qu'on etait trop defoncés, à moins qu'on ne fut en manque. Sans compter les difficultés d'erection, les douleurs gastriques ou cardiaques. Nos corps avaient du mal à suivre le rythme qu'on leur imposait, forcément.
    Je me redressai, épongeai les perles de sueur sur mon visage et tendit la main pour attraper une clope. Lurp remua mollement à mes côtés, et je lui fourrai une cigarette allumée dans le bec. Il têtait comme un gosse.
    Mon cerveau bouillonait un peu, et je me levai en chancelant, les jambes coupées par l'effort. En prenant la carafe sur le bar, j'aperçus une plaquette de pilules bleues en fome de losanges entamée qui gisait à mi-chemin entre le tapis et le lit. Je pensai un instant à l'ironie de la situation: contrer les drogues qui nous interdisaient l'amour avec des drogues pour faire l'amour, on aurait dû y penser plus tôt. Je tournai le regard vers Lurp, absorbé dans la contemplation de sa cendre qui formait des motifs abstraits autour de son nombril, et résistai à l'envie de lui envoyer un cendrier dans le crâne.
    Ma clope coincée à la commissure des lèvres, je m'assis devant le clavier et entrepris de rédiger un paragraphe sur l'efficacité du Viagra, à l'attention des fidèles lecteurs de mon blog. Mais devant la résistance du serveur à me connecter à ma page, j'abdiquai et optai pour un bain, en espérant me noyer dedans par la même occasion. J'étais fatiguée.
    Je marinais tranquillement quand la voix de Lurp s'éleva:
    "- Je vais chez Lexie, j'en ai pas pour longtemps."
    Je pris quand même la peine de répondre.
    "- Ok."
    Concis, oui. Que dire de plus? Lexie deale des médicaments, ces mêmes médicaments dont on se bourre sous pretexte de branchitude. C'est mal venu de ma part de critiquer, j'en suis. Sauf que des fois ça m'enerve. Et là ça m'énerve. Toucher du doigt cette normalité durant quelques heures, et me voilà prête à tourner la page, à recommencer une nouvelle vie, à purifier mon corps et à entretenir mon âme. Je voudrais que Lurp me suive et vienne avec moi elever des moutons dans le Cantal, et on deviserait philosophie le soir au coin du feu, avant de se coucher, tendrement enlacés. Finalement, peut-être qu'il y a que dans notre merde qu'on peut s'aimer.
    J'avais assez trempé, mes doigts commencaient à se friper. Je sortis de l'eau, fit tomber mon mégot dans un mouvement gracieux et pestai parce que je n'avais rien pour m'essuyer. Je traversai en courant le salon, enjambai les quelques kilotonnes de fringues sales qui encombraient notre chambre, et atteignit enfin une serviette. De toutes façons j'étais sèche.
    Quelques cigarettes plus tard, j'étais dehors, le soleil dissipait lentement les nuages et je retrouvais un semblant d'optimisme. Pour fêter ça, je decidai de profiter un peu de l'air extérieur, et laissai un message à Lurp pour lui dire de ne pas m'attendre. Puis un deuxieme pour lui dire que j'aimerais que lui et moi ayons une vie plus normale, plus saine, tu vois quoi. Puis un troisieme pour lui demander d'oublier le deuxieme. Et enfin un quatrieme pour lui dire en pleurant que je ne savais plus quoi faire. A ce stade je decidai de rentrer, l'air extérieur de me vaut rien manifestement.
    Je trouvai Lurp devant la porte, frais, éveillé, amoureux. Le Lurp que j'aime en fait.
    "- J'ai oublié mes clefs, qu'il me fait.
    - Gros naze, je lui répond, en l'embrassant.
    Il me regarde fort, avec ses yeux à la fois doux et perçants, il essuie une trace de maquillage que j'ai fait dégouliner tout à l'heure et il me dit d'un air engageant:
    - On va au MilKanter?
    - Ouaip."
    On se prend la main et on fait les amoureux dans les rues, on se bisoute, on se regarde, on se tripote et on se chamaille. On est sobre l'un et l'autre. On fume la même cigarette.
    Le MilKanter, c'est une taverne où on va quand on doit parler. C'est une espèce de tradition. Ca fait plus de deux ans que je connais Lurp maintenant. La première fois qu'il m'a emmené au MilKanter, il m'a assise devant une choppe de Faro et il m'a expliqué que c'était pas son habitude de piquer les copines des copains, mais qu'on étaient fait l'un pour l'autre et qu'il pouvait pas ne pas tenter sa chance. La deuxième fois, c'est moi qui l'ai entraîné pour lui dire que j'avais réfléchi et qu'il avait peut-être bien raison. On y va aussi quand on doit se disputer, comme ça notre appartement reste un lieu d'amour et de pleins d'autres trucs, mais certainement pas de colère et de querelles. Et puis ça nous evite de nous envoyer la vaisselle à la tête, encore que au MilKanter, maintenant quand ils nous voient arriver ils nous donnent des verres en plastique. Et des cendriers en aluminium. Et ils croient qu'on a rien remarqué.

    Lurp commence, en caressant nerveusement son verre de bière. Sa cigarette se consume sur deux centimetres a chaque fois qu'il tire dessus, un de ces jours je lui installerai un pot d'échappement.
    "- J'ai rien pris à Lexie.
    Une pause. J'attends qu'il continue.
    - T'as raison tu sais. On a été trop loin ces derniers temps. On va recadrer tout ça.
    Je suis contente, c'est ça que je veux. Je veux pas qu'on arrête tout, juste qu'on régule un peu notre consommation, pour qu'elle soit agréable, mais qu'elle ruine pas tout le reste. Je souris tendrement, et ma clope me picote bêtement les yeux.
    Lurp me prend la main, et je lis dans ses yeux que le monde extérieur l'effraie. Alors je lui réponds avec mes yeux que je vais l'aider. On liquide nos bières en se promettant plein de choses, et on rentre à la maison en se serrant frileusement l'un contre l'autre. L'automne arrive à grands pas.

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