• Etre

              Parfois, au milieu des révolutions incessantes de la roue, il m'était donné d'entr'apercevoir la nature du saut qu'il me faudrait faire. Se dégager d'un bond du mécanisme d'horlogerie - telle était la pensée liberatrice. Etre quelque chose de plus (quelque chose de différent) que le maniaque le plus brillant de ce monde! La fable de l'homme de ce monde m'ennuyait. La conquête, fût-ce la conquête du mal, m'ennuyait. Rayonner la bonté, c'est merveilleux, parce que tonique, revigorant, vivifiant. Mais être simplement, c'est encore plus merveilleux parce que cela n'a pas de fin et parce que cela ne demande aucune démonstration. Etre, c'est une musique, une profanation du silence pour le plus grand profit du silence; être, cela se situe par delà le bien et le mal. La musique, c'est la manifestation de l'action sans l'activité. C'est l'acte de création dans toute sa pureté, se baignant dans son propre sein. La musique ne stimule pas plus qu'elle n'interdit, ne cherche ni explique. La musique, c'est l'écho silencieux du nageur dans l'océan de la concience. C'est une récompense qui ne peut être accordé que par soi-même à soi-même. C'est le don du dieu que l'on est, parce que ce dieu à cessé de penser à Dieu. C'est un augure du dieu que chacun finira par devenir en temps opportun, quand tout ce qui est finira par être, au-delà de toute imagination.

                                                                Henry Miller

                                              Tropique du Capricorne, (1939)


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